Il s’appelle Ashem.
Il vient pour changer de vie. Rien que ça.
Ashem est un taiseux, il n’aime pas parler de lui.
Ni parler tout court d’ailleurs. Alors les psys, -chologues ou -chiatres ou autres, non merci.
Ashem n’a jamais fait d’hypnose. Il s’est vaguement renseigné, il a vu « thérapie brève », des collègues lui en ont parlé pour le sommeil et le stress. Alors il est venu.
Pas pour parler. Pour changer… Pour tourner une page.
Ashem adore la musique. Il n’en fait pas, il n’a pas le temps.
C’est aujourd’hui son unique refuge. Ses vraies respirations.
Il n’a visiblement pas suffisamment de temps pour respirer, sa cage thoracique est verrouillé, son flot de paroles aussi.
Dans le métro ou en taxi parfois, il écoute sa musique : surtout du hip-hop.
Pour le rythme, pas pour les paroles. Ça l’apaise, bizarrement : « pas particulièrement posé, mais ça me détend sans trop m’exciter. »
Ashem aime les choses efficaces. Il faut que ça aille vite.
Il n’est pas borné : si les choses ne vont pas ( tout le temps ? ) dans son sens, ça lui va. Mais il faut que ça bouge : « Si ça s’arrête … non, ça me va pas. J’ai besoin de bouger. »
Ça se voit. Ses doigts se tortillent discrètement mais souvent, ses jambes frétillent imperceptiblement ( on devine des impatiences maîtrisées ).
Évidemment, s’il vient pour une séance, c’est bien pour que ça bouge efficacement en une séance.
Sur le « ça », on saura juste que quelque chose d’important dans sa vie vient de se terminer. Et ce sera tout ce qui sera dit.
Après un accord sur ce qu’il serait possible et souhaitable pour lui d’amorcer, appuyer, anticiper dans cette séance ( et la baguette magique évacuée ), il est temps de commencer.
On commence debout, yeux ouverts.
On tâtonne ensemble, il passe du flou avec légères hallucinations visuelles à du balancement automatique un peu déverrouillé.
Ça bouillonne toujours dans son cerveau : on teste de le faire bouillir jusqu’à plus soif ( compter, énoncer, dessiner en l’air … ) en combinant le tout à un papillon ( butterfly ) impromptu.
Il finit par décrocher.
Ashem est debout, les pieds stables au sol et les genoux agiles.
À l’aveugle et sans rien suggérer de précis, son exploration commence et l’emmène à un premier endroit en suivant la piste d’une émotion ( celle qui lui fait balancer la main instinctivement du côté gauche quand il dit qu’il veut tourner la page ).
Sous hypnose, sa main balance et vire à gauche, un geste un peu séquencé qui se bloque sans pouvoir aller plus loin vers la gauche.
Quelques suggestions, un bref échange pour valider, un geste de l’autre bras pour double-valider.
Un travail se fait.
De l’extérieur, tout en restant dans la bulle intérieure de l’entre-deux hypnotique qui se déploie des deux côtés de la pratique, on dirait presque qu’il balaie.
« Virer… nettoyer… traces »
Est-il bon pour lui maintenant de virer et nettoyer ‘traces’ ?
La question se pose alors que sa main gauche et son bras droit semblent bloqués.
Silence. Larmes dignes.
« Non, il y a eu du bon aussi … »
Devant lui et toujours les yeux ouverts, il se forge une image matérielle de ce lien.
Un approfondissement et un décompte plus tard, il fait ce qu’il doit faire avec ce lien.
Il le saisit à deux mains.
Sa main droite recouvre sa main droite.
Une larme, une seule, lui effleure la joue droite.
Sa main gauche retombe.
Sa main droite tient toujours le lien : elle le conduit un pas en avant, puis un deuxième.
À pas saccadés, il atteint un autre côté dont lui seul connait le paysage et la signification.
Un dernier geste qui ne peut venir que de lui pour intégrer ce chemin qu’il vient de tracer : sa main gauche lève le lien imaginaire vers le plafond, il prend une grande respiration, puis sa main libère le lien.
Un balancement vers l’arrière vient acter la fin de ce début ou de cette fin.
Une deuxième séance verra d’autres balancements, sur une plage entouré de mouettes et buvant de l’eau salée dans un rhyton en forme de lion. Encore une autre histoire…
Pour clore celle-ci, un seul mot peut-être : Novruz, un nouveau jour, une renaissance.
Ashem est iranien et une grande partie de son énergie et de sa vie ont consisté à se défaire de ces racines-là. C’est pourtant le mot qui lui est venu au décours de la séance.
Plutôt lumineux pour un taiseux.
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