𝘈𝘭𝘨𝘰𝘴 : 𝘥𝘰𝘶𝘭𝘦𝘶𝘳 ( en grec ).
Les 𝘈𝘭𝘨𝘰𝘴 étaient les trois filles d'𝘌́𝘳𝘪𝘴, elle-même fille de 𝘕𝘺𝘹, la nuit.
Elles s’appelaient Douleur, Deuil et Chagrin.
Et faisaient partie d’une grande fratrie.
~ Elles avaient un frère, 𝘗𝘰𝘯𝘰𝘴 , dieu du labeur et de la contrainte.
La douleur arrive et vient limiter toute votre vie.
L’amplitude des mouvements, le périmètre des interactions avec les autres et le monde, l’étendue du champ des pensées et des émotions ; tout peut se voir réduire à la seule douleur.
On ne la choisit pas - sauf dans le cas de certaines pratiques érotiques, qui sont autant de façons d’explorer différemment le plaisir, à condition que la contrainte et le labeur en soient absents.
~ Les 𝘈𝘭𝘨𝘰𝘴 avaient une soeur, 𝘓𝘪𝘮𝘰𝘴 , déesse de la faim.
La douleur vous coupe l’appétit.
Les crises aigües font trembler les viscères, parfois jusqu’à la nausée.
La peur du prochain mouvement ou de la prochaine situation de douleur paralyse. On ne va plus chercher sa nourriture.
Ou alors on se réfugie dans le réconfort des aliments, dans la douceur du sucrée.
On en perd d’autant plus l’appétit de la vie, l’appétit des autres, l’appétit de soi et de son image.
~ Les 𝘈𝘭𝘨𝘰𝘴 avaient d’autres soeurs déesses : les 𝘈𝘮𝘱𝘩𝘪𝘭𝘭𝘰𝘨𝘪𝘢𝘪 ( la Dispute), les 𝘕𝘦𝘪𝘬𝘦𝘢 ( les Querelles), les 𝘏𝘺𝘴𝘮𝘪𝘯𝘢𝘪 ( les Batailles ).
La douleur vous rend belliqueux.
L’humeur contrainte et affamée rend les contacts avec les autres plus difficiles, on devient soi-même plus difficile à vivre.
Les conflits peuvent être légion : avec ses proches, ses amis, des inconnus, des soignants-soldats censés anéantir la douleur et parfois impuissants ou maladroits.
Et puis il y a l’armée des pensées qu’on dirige vers soi.
~ Les 𝘈𝘭𝘨𝘰𝘴 avaient aussi pour soeurs les déesses 𝘗𝘩𝘰𝘯𝘰𝘪 ( le Meurtre ), les 𝘔𝘢𝘬𝘢𝘪 ( la Guerre ), les 𝘈𝘯𝘥𝘳𝘰𝘬𝘵𝘢𝘴𝘪𝘢𝘪 ( les Massacres ).
La douleur arrive mais elle ne vient pas de nulle part.
Un accident. Ou un incident.
Et si elle reste, c’est souvent en terrain potentiellement conquis.
Il existe un phénomène appelé catastrophisation de la douleur.
La douleur est un signal d’alarme : après une blessure, le corps doit se mettre au repos pour permettre sa réparation.
Le corps possède d’ailleurs ses propres traitements antidouleurs : notamment les enképhalines, dont la morphine, mais aussi des systèmes sophistiqués d’inhibition qui permettent de moduler la perception, consciente, d’une douleur.
Mais douleur n’est pas synonyme blessure.
Quand tout concoure à l’idée - et aux traitements - de "lutte” contre la douleur, sans considérer la perception que chacun se fait de sa douleur, la guerre peut être rude, avec des dégâts collatéraux majeurs, et parfois sans fin.
Une approche ( pas forcément hypnotique ) ciblée sur cette catastrophisation et sur la perception de la douleur permet une prise de conscience et une reprise de contrôle sur cette même douleur.
Pour une vraie guérison.
Sous hypnose, c’est toute la perception de la douleur qui peut être modulée.
Il est possible de créer des anesthésies complètes d’un bras ou d’une main par exemple.
Ou d’augmenter le seuil de tolérance au chaud ou au froid ( utile pour la recherche notamment ).
L’analgésie obtenue en ajustant la perception de la douleur est plus forte que celle obtenue en stimulant les voies anti-douleurs ( inhibitrices ) par stimulation transcrânienne par exemple.
Agir sur les affects liées à nos perceptions peut parfois s’avérer plus fort et plus riche qu’un seul anéantissement chimique ( et toujours temporaire ) de la douleur. Mais aussi de l'anxiété, de l’inconfort, de la peur, de la dépression…
~ Les 𝘈𝘭𝘨𝘰𝘴 avaient encore d’autres déesses de soeurs : les 𝘗𝘴𝘦𝘶𝘥𝘦𝘢 ( les Mensonges ), les 𝘓𝘰𝘨𝘰𝘪 ( les Histoires ), 𝘓𝘦́𝘵𝘩𝘦́ ( l’Oubli ).
La douleur ne vient pas de nulle part. Sous l’accident couve parfois un incident.
Un faux mouvement coïncide parfois avec un arrêt de travail ou un retrait social venant apaiser une situation échevelée.
Une douleur qui dure alors qu’un os est réparé ou une infection éliminée coïncide parfois avec une nécessité de rester plaint, consolé ou apaisé.
Une douleur infligée inconsciemment à soi-même ( par le biais de son système immunitaire notamment ) coïncide parfois avec une estime de soi et/ou des autres malmenée, un pardon non digéré ou jamais amené, une autopunition durablement aménagée, ...
~ Les 𝘈𝘭𝘨𝘰𝘴 avaient encore deux autres soeurs et déesses : 𝘋𝘺𝘴𝘯𝘰𝘮𝘪𝘢 ( l’Anarchie ) et 𝘈𝘵𝘦́ ( la Ruine ).
Quand la douleur devient chronique et qu’elle déborde tout le temps, sur à peu près tout, quand plus aucune autorité dans le corps ou au-dehors ne peut guider vers la guérison.
Quand un mal intérieur a pris le contrôle au point qu’il n’y en ait plus aucun, quand la vie s’effondre sans possibilité physiologique de rebâtir, quand la douleur est au-delà du supportable et que seuls les antidouleurs parviennent à soulager ce qui peut encore l’être.
Alors peuvent s’y adjoindre l’apaisement, l’acceptation, la consolation, le soulagement, une présence.
~ Les 𝘈𝘭𝘨𝘰𝘴 avaient un dernier frère, 𝘏𝘰𝘳𝘬𝘰𝘴, le Serment.
𝐷𝑖𝑣𝑖𝑛𝑢𝑚 𝑜𝑝𝑢𝑠 𝑒𝑠𝑡 𝑠𝑒𝑑𝑎𝑟𝑒 𝑑𝑜𝑙𝑜𝑟𝑒𝑚.
𝐻𝑖𝑝𝑝𝑜𝑐𝑟𝑎𝑡𝑒
~ Les 𝘈𝘭𝘨𝘰𝘴 étaient au nombre de trois : Douleur, Deuil et Chagrin.
Une vie sans douleur n’existe pas. Une vie sans douleur n’est pas vivable - sans message de danger, on laisserait sa main au feu brûler.
On peut donc faire le deuil d’une vie sans douleur. Et ne plus voir la vie comme un combat permanent à mener contre toutes les souffrances, sans même les avoir comprises ou explorées.
Et quand vient le chagrin, que l’on soit un soignant ou proche de soigné, être là pour consoler ( 𝘤𝘰𝘯𝘴𝘰𝘭𝘢𝘳𝘦 : 𝘳𝘦𝘯𝘥𝘳𝘦 𝘦𝘯𝘵𝘪𝘦𝘳 ).
Et puis, le dépasser. Continuer autrement.
Pourquoi pas plus fort qu’avant.
~ 𝘌́𝘳𝘪𝘴 , la mère des 𝘈𝘭𝘨𝘰𝘴 , avait un frère.
Il s’appelait 𝘏𝘺𝘱𝘯𝘰𝘴.
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